SOMMAIRE
II – AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS DU PROFILAGE
III – UL OU EP COMME UNITÉS DE BASE DU TES ?
Résumé
° Dans les statistiques, l’entreprise a longtemps été associée à sa définition purement juridique, à savoir l’unité légale (UL). Avec la mondialisation, les grands groupes multinationaux sont de plus en plus complexes en termes d’organisation juridique. Il s’ensuit un décalage croissant entre la vision du système productif basée sur les UL et la réalité économique. La mondialisation de l’économie et la manière dont les groupes d’entreprises organisent leurs chaînes de production par delà les frontières nationales posent ainsi des défis pour les statisticiens d’entreprises.Les INS ont décidé de dépasser l’UL, pour mettre en place une nouvelle unité statistique, l’entreprise (profilée). Le profilage des entreprises correspond à la mise en place de cette nouvelle unité statistique.
° Il a été développé à l’INSEE à partir de 2013 : il consiste à prendre en compte les structures complexes existant entre les groupes d’entreprises souvent mondiaux pour donner plus de pertinence aux statistiques publiées. Elles posaient auparavant différents types de problèmes : flux internes entre sociétés qui peuvent conduire à des doubles comptes ; classement de certaines sociétés (comme des bureaux d’étude) dans le secteur correspondant à leur code APE, alors qu’elles travaillent exclusivement pour les sociétés du groupe auquel elles appartiennent.
° On nomme « profilage » la technique consistant à identifier au sein des groupes les entreprises au sens économique, puis à collecter et calculer des statistiques sur ces nouveaux contours. Il est aujourd’hui appliqué à l’Insee pour les groupes ayant un poids économique important en France. Ces entreprises profilées (EP) redéfinies sont des regroupements d’unités légales (UL), jouissant d’une autonomie de décision, notamment pour l’affectation de leurs ressources courantes. En règle générale, la structure d’observation définie correspond aux grands métiers du groupe qui définissent alors autant d’unités statistiques. Ces EP peuvent réunir de une à quelques centaines d’UL dont on consolide les comptes. Ainsi une entreprise est soit une UL isolée, soit une EP.
° Mais pour l’élaboration du TES, c’est un problème supplémentaire. Notons à ce propos la contradiction entre deux directives d’Eurostat, celle promouvant l’entreprise profilée comme unité statistique, et d’autre part les paragraphes 3.14 et 3.15 du système européen des comptes (SEC 2010) qui précisent bien d’enregistrer dans la production tous les flux entre deux unités d’activités économiques locales d’une même unité institutionnelle. Pour le moment, les ventes de branche des équilibres-ressource-emplois (1° ligne des ERE), continuent d’être élaborées sur la base des ventes des UL, en cohérence avec ces paragraphes du SEC.
° Mais il est clair que la ventilation du chiffre d’affaires par branche d’une EP n’est pas la même que la somme des ventilation du CA par branche des UL qui la composent, aussi bien dans son niveau par consolidation, que dans sa structure. Des branches peuvent disparaître : si une UL fait de la R&D pour le compte d’une autre UL de la même EP, cette branche n’apparaît pas dans le compte de l’EP.
° Or les « profileurs » de l’Insee ne vérifient que les ventes de l’EP et sa ventilation entre les branches, notamment pour la cible 1(profilage « manuel » ou « sur mesure » des grands groupes). Ils ne vérifient pas toujours les ventes des UL de contour et leur ventilation branche. Une EP peut être composée de plusieurs centaines d’UL dont la somme des ventes peut être largement supérieure aux ventes de l’EP. Le profilage peut ainsi poser de sérieuses difficultés pour les comptes de la construction ou des services, voire de l’industrie, du fait des relations de sous-traitance et d’autres mouvements « d’externalisations » ou à l’inverse de « recentrage vers le cœur de métier » entre des UL d’une même EP.
° Pour la cible 2 des 90000 groupes plus petits (« profilage automatique« ), une difficulté est d’aboutir aux ventes de l’EP à partir de celles des l’UL moyennant un algorithme de consolidation.
° En outre, il semble que l’EP ne puisse servir d’unité de base pour élaborer le TES. D’une part disparaissent des flux entre UL. Mais surtout, on ne maîtrise pas bien le partage entre activités « secondaires » et activités « auxiliaires » des EP de la cible 2. L’Insee fixe des seuils au dessous desquels une activité dite « auxiliaire » (pour simplifier un service non vendu) ne doit pas être prise en compte dans ses ventes : si une EP du commerce déclare moins de 10% de ventes de transport dans son CA, soit le seuil fixé, ce transport ne sera pas pris en compte si on prend comme unité l’EP pour faire les les équilibres-ressources-emplois (ERE) et le TES (alors que les comptes nationaux qui se basent sur les ventes de l’UL devraient le prendre en compte). En revanche, si elle déclare en transport plus de 10% des ventes, celui-ci sera pris en compte, sans qu’on sache vraiment si une partie de ce transport se fait entre des UL de l’EP de contour, auquel cas c’est une activité « auxiliaire » (qui ne devrait pas être pris en compte dans les ventes consolidées de l’EP). A cela, certains répondent que l’un dans l’autre, ces flux se compensent entre le transport qui n’est pas pris en compte si il représente moins de 10% des ventes et celui qui est anormalement pris en compte dans le cas contraire.
° Autre exemple, si ce service n’est pas du transport mais de la R&D, la FBCF en R&D sera sous-estimée si cette R&D se fait entre 2 UL de l’EP de contour. Pour ces diverses raisons assez complexes, l’EP ne serait pas la bonne unité de base pour élaborer les ERE.
° Tout ceci peut expliquer une politique progressive de gestion et de diffusion des EP, et surtout la mise à disposition des résultats en UL en interne pour les comptes nationaux. Ces résultats sont d’ailleurs sujets à caution car pour les UL qui ne sont plus enquêtées, notamment dans la cible 1, on prend leur structure du chiffre d’affaires (CA) par branche de la dernière année d’enquête, soit parfois 2011. L’enquête « achats/production » de l’Insee de 2018 devrait toutefois en partie actualiser cette structure.
° Il semble que ce processus sera reconduit en Base 2022 des comptes nationaux. Mais rien n’indique que pour la base suivante, on n’aurait pas un scénario intermédiaire à savoir l’unité EP pour les comptes de secteurs institutionnels (TEE) et l’unité UL pour élaborer le TES, autant dire une source de complexité pour les comptes nationaux : la production, consolidée dans le TEE, n’aurait plus la même valeur que dans le TES. Il reste que l’Insee diffuse depuis 2017 uniquement des résultats (Esane) pour l’ensemble des EP de la cible 1 et la cible 2, et les UL indépendantes, notamment pour Eurostat. N’est ce pas là une raison supplémentaire de faire un TES par secteur d’activité ? Les comptables nationaux n’auront en effet pas à se soucier d’un calage en évolution entre les données Esane (en secteur d’activité) diffusées en EP et les comptes (en secteurs d’activité) s’appuyant sur des UL.
I – LE PRINCIPE DU PROFILAGE
1/ histoire du profilage
Deux étapes ont marqué le dispositif rénové de production des statistiques structurelles d’entreprises durant ces deux dernières décennies. L’Insee a d’abord publié les premiers résultats du dispositif rénové Esane début 2011 (élaboration des statistiques annuelles d’entreprises) qui permet de produire les statistiques structurelles d’entreprises. La mise au point de ce dispositif a constitué un des chantiers majeurs récents de l’Insee [1] (les nombres entre crochets renvoient à la bibliographie en fin de page).
Puis la notion d’entreprise a évolué vers un nouveau concept. En France, l’entreprise a longtemps été définie sur un plan purement juridique [2]. La statistique publique française en matière d’entreprises a longtemps considéré qu’une entreprise est une unité légale, bénéficiant en cela de l’existence du répertoire des entreprises et des établissements (Sirene) géré par l’Insee. Ceci n’est pas gênant si l’on souhaite décrire une réalité juridique ou administrative : l’UL, à la fois unité juridique et administrative, est plus adaptée pour les problématiques de réglementation, de seuil, d’analyse de forme juridique. Elle est l’unité d’observation dans la déclaration fiscale. De ce fait, cette notion est très structurante et les données comptables sont recueillies selon cette unité.
Mais la référence à l’UL s’est avérée moins pertinente si l’on veut décrire une réalité économique, car on veut observer un acteur économique autonome dans ses décisions et agissant sur le marché. Or les unités légales filiales des groupes ne sont pas autonomes.
Les statistiques d’entreprises ne pouvaient plus être fondées sur les UL ; C’était le sens du règlement européen de 1993, et de la Loi de Modernisation de l’Économie (LME) du 4 août 2008. qui définit l’entreprise comme « la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes ». Une entreprise exerce une ou plusieurs activités dans un ou plusieurs lieux. Elle peut correspondre à une seule unité légale ».
De plus, la LME a remis ce concept au centre des débats en définissant des catégories d’entreprises :– PME (dont micro-entreprises)– ETI (entreprises de taille intermédiaire)– GE (grandes entreprises).
Le développement de l’organisation des UL en groupes a conduit ainsi à ce que les analyses reposant exclusivement sur les UL biaisent les représentations du tissu productif, notamment celles relatives au poids des différents secteurs d’activité, à la concentration par unité ou par taille ; de même les restructurations des groupes peuvent dans certains cas brouiller le message économique .
La nécessité de « profiler » certains groupes est apparue dès la fin des années quatre-vingt dix, à l’occasion d’une restructuration juridique des deux grands constructeurs automobiles français qui avaient décidé, à peu près à la même date, de donner la personnalité morale à chacun de leurs établissements de production. Ainsi de nouveaux flux monétaires, sans réelle consistance économique, sont apparus entre les unités légales de ces groupes, correspondant aux flux physiques des composants des voitures. Dans cette restructuration, les unités légales de production louaient la main-d’œuvre et les machines à certaines unités légales du même groupe et elles vendaient leur production à d’autres unités légales du groupe en charge de la commercialisation. Toutes ces nouvelles unités légales n’avaient pas de réelle autonomie de production, ni de décision, les décisions continuant bien évidemment d’être prises au niveau du groupe. Elles ne satisfaisaient donc pas aux critères de définition classiques d’une « entreprise » et n’étaient pas des « acteurs économiques » à part entière. La restructuration mentionnée ci-dessus conduisait à multiplier « fictivement » par près de trois le chiffre d’affaires, la sous-traitance, etc., de la filière automobile française alors qu’en réalité rien n’avait changé dans les capacités de production du fait de cette restructuration, de sorte qu’il n’était pas possible de laisser ces nouvelles données telles quelles si l’on voulait se ramener à une situation économiquement significative.
Ce genre de décision, consistant à créer plusieurs unités légales au sein d’une nouvelle entité, peut se produire à tout instant au sein des grands groupes. L’assimilation de l’unité légale à l’entreprise n’est donc plus pertinente dans ce genre de cas : autonomie de décision et gestion de l’ensemble des facteurs de production sont au niveau du groupe et non plus au niveau des unités légales. De plus, continuer à raisonner en unités légales modifie non seulement les niveaux des agrégats mais également leur répartition sectorielle.
La réponse apportée par la statistique à la fin des années 1990 a été de considérer ces nouvelles sociétés comme une seule entreprise et d’élaborer pour chacun des deux grands constructeurs automobiles des « comptes consolidés » sur une seule unité regroupant leurs différentes filiales sur le territoire national. Cette opération a été nommée profilage et a été mise en place pour les mêmes raisons de difficultés d’interprétation des comptes pour quelques autres entreprises, appelées « les profilées historiques ».
« Le profilage est ainsi une méthode d’analyse aux plans légal, opérationnel et comptable de la structure d’un groupe d’entreprises visant à déterminer les unités statistiques du groupe, leur liens et les structures les plus efficaces pour la collecte des données statistiques ». Profiler un groupe consiste à définir les « entreprises » au sein du groupe, c’est à dire à en définir la structure statistique, correspondant au rôle d’acteur économique de l’entreprise, par delà la structure juridique de son organisation en sociétés. Il s’agit d’asseoir toute la statistique sur l’entreprise profilée et non plus l’unité légale. Ainsi, on peut dire que le profilage consiste à regrouper dans une même entité des entreprises qui ont une activité principale dominante (exemple Bouygues BTP, Bouygues Télécom) et à supprimer les flux internes des unités légales de cette même entreprise [3].